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HedyLamarr
De l’écran à l’onde : l’héritage technologique d’Hedy Lamarr

Quand on pense aux pionniers de la technologie moderne, on imagine volontiers des ingénieurs, des chercheurs en blouse blanche, ou des figures de la Silicon Valley. Rarement une star hollywoodienne des années 1940. Et pourtant, Hedy Lamarr, actrice autrichienne naturalisée américaine, n’a pas seulement marqué le cinéma par sa beauté et son charisme.

Nous sommes en 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale. Le monde est plongé dans un conflit d’ampleur inédite. Les États-Unis ne sont pas encore entrés en guerre, mais les tensions sont à leur comble. À cette époque, les torpilles radioguidées représentent une innovation militaire cruciale, mais elles sont facilement brouillables par les ennemis, rendant leur utilisation peu fiable.

Hedy Lamarr, qui a fui l’Autriche nazie quelques années plus tôt, est alors une actrice à succès à Hollywood. Mais elle n’est pas seulement une icône glamour : elle s’intéresse profondément à la science et à la technologie, passion née de discussions avec son premier mari, un fabricant d’armes proche du régime nazi. Choquée par l’usage militaire de ses inventions, elle veut contribuer autrement.

C’est avec le compositeur George Antheil qu’elle conçoit une idée brillante : une technique de communication qui consiste à faire changer très rapidement de fréquence à un signal radio, selon une séquence connue à l’avance par l’émetteur et le récepteur. Cela rend la transmission difficile à intercepter ou à brouiller, et renforce ainsi la sécurité des échanges. Ce principe est connu aujourd’hui sous le nom de frequency-hopping spread spectrum (FHSS) ou technique Lamarr.

Ce système de communication révolutionnaire est à la base de nombreuses technologies sans fil d’aujourd’hui, comme le GPS, le Bluetooth ou même les premières versions du Wi-Fi, qui de nos jours, utilisent d’autres techniques plus avancées.

Ils déposent ensemble un brevet en 1941. Leur invention est transmise à la Navy, qui la met de côté. Pourquoi un tel scepticisme ? La complexité du projet en était-elle la cause ? C’était peut-être le cas. Cependant, il est également plausible que la provenance de l’idée, issue d’une actrice et d’un musicien, ait été perçue comme amateur par les standards de l’époque. De plus, le fait que Hedy Lamarr était une femme a pu influencer les perceptions.

Ce n’est qu’au début des années 1960, dans le contexte tendu de la guerre froide et de la crise des missiles de Cuba, que l’idée de Lamarr et Antheil est redécouverte et appliquée à certaines technologies militaires. Cependant, à ce stade, leur brevet est déjà entré dans le domaine public. Par conséquent, aucun des deux ne percevra de redevances, ni même une reconnaissance officielle.

Hedy Lamarr poursuit sa carrière à Hollywood, tout en continuant à inventer. Mais son image reste cantonnée à son apparence, souvent réduite à sa beauté et à son aura glamour. Son cerveau, lui, restera dans l’ombre pendant des décennies. 

Ce n’est qu’en 1997, soit plus de 50 ans après son invention qu’elle reçoit un prix de l’Electronic Frontier Foundation pour sa contribution majeure à la technologie moderne. Elle a alors 82 ans, vit recluse, et ne se déplacera pas pour recevoir la distinction.

Le cas de Hedy Lamarr révèle un biais profond et structurel dans l’histoire de la technologie et de l’innovation : celui qui relègue les femmes, et en particulier celles qui ne correspondent pas à l’image classique du “savant”, à des rôles secondaires voire invisibles. Il est probable que, si un homme, ingénieur diplômé, avait présenté la même invention à la Navy, elle aurait été prise au sérieux plus tôt.

Aujourd’hui, Hedy Lamarr est célébrée à titre posthume. En 2014, elle est admise au National Inventors Hall of Fame. Le 9 novembre, jour de sa naissance, est devenu la Journée des inventeurs dans les pays germanophone. Elle incarne désormais une figure emblématique des femmes de science oubliées.

Parce qu’à l’heure où l’on parle de diversité, de parité et d’inclusion dans les métiers de la tech, il est crucial de rappeler que le talent n’a pas de genre mais que sa reconnaissance, elle, en a souvent eu un.
Hedy Lamarr n’est pas une exception : elle est le symbole de toutes ces femmes invisibles qui ont changé le monde sans jamais recevoir le crédit qu’elles méritaient.