Dans un monde en constante évolution technologique, les entreprises françaises et européennes s’appuient massivement sur des acteurs américains pour fonctionner, innover et se financer. Cloud, logiciels professionnels, outils collaboratifs ou même fonds d'investissement, notre écosystème dépend lourdement de technologies et de capitaux venus des Etats-Unis. Cette dépendance, souvent perçue comme un simple choix pratique et économique, souligne des enjeux bien plus profonds : perte de souveraineté, vulnérabilités juridiques liées au droit américain, exposition aux décisions politiques des Etats-Unis et j’en passe.
On peut cloisonner la dépendance des entreprises françaises en trois parties distinctes ;
- technologique
- financière
- juridique (qui découle des deux points précédents)
Technologiquement, la dépendance de la France et de l'Europe est assez visible. Selon des estimations, plus de 80 % des entreprises européennes utiliseraient des services cloud américains, que ce soit l’utilisation de SaaS (Google Workspace, Microsoft Exchange, etc.) ou de Cloud computing (AWS, Azure, Google Cloud) ou même de services comme Cloudflare qui, on l’a vu récemment, sont invisibles aux yeux des utilisateurs mais paralysent le monde entier lorsqu’une interruption de service a lieu.
Financièrement, la France et l'Europe sont également extrêmement dépendantes des Etats-unis. La plupart des start-up, potentielles futures licornes, font trop souvent appel à des fonds d'investissement américains pour se lancer, faute d’une prise de risque suffisante des acteurs locaux. Cette situation n’est pas surprenante, les fonds US disposent de moyens colossaux, d’une plus grande appétence pour le risque et d’une influence historique sur le marché de la tech. Résultat : un grand nombre d’entreprises françaises se retrouvent, dès leur création, liées à des capitaux étrangers qui peuvent orienter leurs stratégies, leurs choix et leur gouvernance.
La dernière vidéo de Micode, parle du cas de Gemplus, une entreprise française leader dans le domaine des cartes à puces qui, après avoir vendu des parts à un fond d'investissement américain, s’est retrouvée proche de la faillite pour des raisons stratégiques et politiques des Etats-Unis. Ce documentaire montre bien les risques que prennent les entreprises en acceptant les investissements étrangers.
A cette dépendance technologique et financière s’ajoute une dépendance juridique, souvent invisible mais aux conséquences bien réelles. En utilisant des services américains (SaaS, IaaS etc.) ou des fonds de financements américains, les entreprises françaises et européennes se retrouvent liées par des contrats soumis au droit des Etats-Unis. Ce qui signifie que, même si les données sont hébergées dans des datacenters en France et que les activités ne se déroulent qu’en France ou en Europe, elles restent exposées à des législations américaines comme le Patriot Act ou le Cloud Act.
Concrètement, ces dernières permettent aux autorités américaines de demander l'accès aux données dès lors qu’elles transitent ou sont stockées par un fournisseur américain. Pour certains domaines, comme la santé, la défense, la recherche ou d'autres infrastructures critiques, cette exposition juridique représente un risque majeur : perte de confidentialité, conflit avec le droit européen et surtout manque de contrôle et de regard sur la gestion de ces données confidentielles.
Face à cette dépendance technologique, financière et juridique, il est absolument nécessaire que les entreprises françaises et européennes gagnent en autonomie. La réduction des risques ne nécessite pas forcément une rupture totale avec les Etats-Unis mais une diversification intelligente et des choix souverains faits de manière éclairée.
Diversifier les technologies et se baser sur des alternatives européennes
La première étape serait de réduire la dépendance aux plateformes américaines en explorant les alternatives européennes. De nombreux acteurs cloud, concurrents des géants américains existent chez nous, OVH Cloud, Scaleway, Outscale et bien d’autres, proposent des offres, au moins partiellement, équivalentes aux solutions américaines.
L’open source joue également un rôle clé, il permet de :
- limiter le verrouillage technologique
- gagner en transparence
- garder le contrôle
- repenser les stratégies de financement
Pour réduire la dépendance financière, les start-up et entreprises doivent diversifier leurs sources de financement. L’Europe propose déjà de nombreux acteurs solides (BPIFrance, EIC Fund, des fonds souverains) mais ces acteurs sont sous-utilisés au profit de leurs équivalents américains.
Il faut également encourager les levées de fonds en Europe. Même si elles sont moins spectaculaires qu’au Etats-Unis, elles permettent de conserver une gouvernance locale, une stratégie alignée avec le marché européen et surtout une meilleure résilience face à des décisions d'investisseurs étrangers.
Les risques juridiques évoqués plus haut étant liés aux risques technologiques et financiers, ils seront réduits au fur et à mesure de la transition des entreprises vers des cloud et les financements issus de l’Union Européenne.
En résumé, notre dépendance aux technologies, aux financements et au droit américains n’est plus un détail : c’est un vrai sujet, qui touche directement à la souveraineté et à la sécurité de nos entreprises.
Le but n’est pas de tourner le dos aux États-Unis, mais de trouver un certain équilibre, de construire nos propres solutions et de faire des choix plus éclairés et conscients. Ne nous voilons pas la face, les autres alternatives disponibles comme se tourner vers les géants de la tech chinoise ne sont pas plus réjouissantes.
Si la France et l’Europe veulent réellement rester maîtres de leur avenir numérique, cela passera forcément par plus d’autonomie, plus de diversité dans les outils et un peu moins de naïveté sur les enjeux qui se cachent derrière nos technologies du quotidien.