
C’est l’un des projets les plus spectaculaires annoncés lors de la huitième édition du sommet Choose France, qui s’est tenue le 19 mai dernier à Versailles. La France, en partenariat avec les Émirats Arabes Unis, s’apprête à accueillir en Île-de-France le plus grand campus dédié l’intelligence artificielle en Europe. Une infrastructure portée par un consortium financé par l'état et des géants de la tech avec pour ambition de transformer le paysage de l’IA à l’échelle continentale.
La joint-venture à l’origine du projet regroupe quatre poids lourds : le fonds souverain émirati MGX, BpiFrance, l’américain Nvidia — référence mondiale dans les processeurs pour le calcul intensif — et la licorne française Mistral AI, figure montante de l’IA générative européenne. Ensemble, ils veulent donner naissance à un site unique en son genre, intégrant data centers, infrastructures de calcul haute performance, centre de recherche, et espaces de formation. Le tout sur un site francilien de 70 à 80 hectares, encore non confirmé mais pressenti à proximité de Melun.
L’ambition n’est pas nouvelle. Dès février, lors du Sommet pour l’action sur l’IA, Emmanuel Macron et son homologue émirati Sheikh Mohamed Bin Zayed Al Nahyan avaient levé le voile sur ce rapprochement stratégique. À l’époque, il était question d’un data center d’une capacité d’un Gigawatt. Il s’agira finalement d’un campus entier, avec une capacité énergétique portée à 1,4 Gigawatt, soit presque autant que celle de l’EPR de Flamanville. Le changement d’échelle est majeur, à la hauteur des enjeux affichés.
L’objectif est clair : faire de ce campus le cœur technologique de l’Europe dans l’intelligence artificielle. Une plateforme ouverte mais souveraine, conçue pour couvrir l’ensemble du cycle de vie des systèmes d’IA — de leur conception jusqu’à leur implémentation dans des cas d’usages concrets. Les secteurs concernés sont nombreux : santé, énergie, finance, industrie, mobilité. Tous sont appelés à bénéficier de la puissance de calcul de niveau exascale (supercalculateur) que proposera le campus. L’intégration d’un cloud souverain et la promesse d’un fonctionnement à faible émission de carbone ancre le projet dans une vision à la fois technologique et politique.
Dans cette aventure, chaque partenaire jouera sa partition. MGX incarne l’investissement stratégique et la volonté d’accélérer la transformation numérique globale. Bpifrance, bras financier de l’État, veillera à ce que le projet s’inscrive dans les priorités nationales : souveraineté, innovation, attractivité. Mistral AI, qui s’impose comme une alternative européenne crédible face aux géants américains, apporte son expertise sur les modèles de langage de nouvelle génération. Quant à la société Nvidia, elle apportera la technologie et des infrastructures d'envergure qui sont nécessaires pour atteindre l’échelle espérée.
Autour de ce noyau dur, d’autres acteurs nationaux ont répondu à l’appel. Bouygues, EDF, RTE ou encore Sipartech joueront un rôle central dans la construction, l’alimentation et la connectivité du campus. L’École Polytechnique, via une chaire dédiée, pilotera la contribution académique et la formation des talents, en lien avec l’université Mohamed Bin Zayed d’Abu Dhabi. Un alignement rare entre intérêt public, capacité industrielle et vision académique.
La première tranche de financement s’élève à 8,5 milliards d’Euros. Les travaux débuteront fin 2026, pour une mise en service espérée en 2028. Et ce n’est que le début. À terme, l’investissement total pourrait atteindre entre 30 et 50 milliards d’Euros. À titre de comparaison, c’est davantage que ce que représente aujourd’hui l’ensemble des data centers d’Île-de-France réunis.
Au-delà de sa puissance technique, cette annonce envoie un message politique. La France ne va pas se contenter d’observer la révolution de l’IA. Elle entend y participer et prendre le leadership en Europe. Alors que les États-Unis et la Chine s’affrontent sur le terrain de la technologie, Paris et Abu Dhabi misent sur une troisième voie : coopérative, structurante, et pensée pour durer.
Reste une question : ce pari sur la souveraineté et l’ouverture pourra-t-il tenir face aux logiques de dépendance technologique, aux tensions géopolitiques, et aux défis réglementaires encore en suspens ? Le campus IA ne sera pas seulement un centre de calcul. Il sera un test grandeur nature pour un nouveau modèle de gouvernance technologique. Et peut-être, pour une nouvelle idée de l’indépendance numérique européenne, sans pour autant fermer la porte.
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